La Lecture de L'heure
Le blog littéraire d'Eric
Le Rêve du pêcheur
(Editions Gallimard, 2024)
de Hemley Boum
Si par cette atmosphère printanière qui point, avec ces parenthèses ensoleillées et porté par la caresse de ses douces brises, vous seriez à la recherche d'un livre de bonne facture pour vous accompagner dans la reposante candeur et le silence apaisant de vos après midi dominicales, alors je vous recommanderai vivement et sans hésiter, le dernier roman de la camerounaise Hemley Boum, "Le Rêve du Pêcheur" paru cette année chez Gallimard.
Chaque fois que j’ai entre les mains un livre de Hemley Boum, je suis toujours traversé par une sorte de bonheur indicible, une forme de rassérénante félicité. Ce sont à chaque fois, des histoires qui nous plongent dans un réel qu’on côtoie, mêlant à la fois gravité par les thèmes qu’elles traitent et fascination par le chatouillement d’une écriture évanescente avec toujours une topologie qui entraine la lectrice ou le lecteur dans le charme des lieux, révélant leur magnétisme et leur maléfice. Dans « Si d’aimer », « Les Maquisards », ou dans « Les jours viennent et passent », ici particulièrement, le passage qui décrit les Bamboutos vaut mille brochures de voyagistes et est en soi une invite au voyage.
Et maintenant, voici « Le Rêve du Pêcheur ». Je viens de l'achever en 72 heures, chrono en mains.
Le texte aurait pu être titré "Campo", une localité située dans le Sud profond du Cameroun sur l'embouchure du fleuve Ntem sur l'océan Atlantique, au commencement et à la fin, ce lieu magique ouvre et clôt cette belle histoire. Une intrigue dans laquelle se côtoient des gens aimants, des lieux dicibles le tout portés par le charme d'une écriture sublimant de fluidité. Même s'il y a une partie de l'histoire qui se déroule en France, en réalité une forme de déplacement des lieux, tant les personnages emportent avec eux la complexité de leurs vécus sur de nouveaux terrains, le texte demeure une ode à la dicibilité de nos géographies camerounaises : Campo, Kribi, Douala, New-Bell ... Mais surtout le texte est une ode à une forme d'harmonie, une forme de générosité qui est nichée naturellement dans notre conscience collective, voire, dans notre inconscience collective. Le texte exsude de Camerounité, de la première à la dernière ligne, la diversité onomastique en est son illustration la plus aboutie : ici un Achille Fodjeu est le meilleur ami de Zachary Mekobe, ils vivent à New Bell et c'est un papa Manga qui leur donnera le précieux, l’ultime coup de pouce dans la vie
Et l'histoire du roman en soi, étalée sur plusieurs générations. D’abord celle de Zacharias le lointain grand père, pêcheur à Campo, qui vit le drame de la submersion opérée par la globalisation venue bousculer les petites habitudes d'une vie ordinaire de pêcheur menée avec sa femme Yalana, agricultrice, déterminante dans son effacement et leurs deux filles dans le village esquissant ainsi les contours du drame qui s'invitera dans sa famille. Et on suit, dans un récit parallèle, l'histoire du petit-fils Zachary Mekobe, dont la mère, l’une des filles de Zacharias, le pêcheur, en rupture de ban avec sa propre famille, l'emmène avec elle dans les faubourgs de la grande cité économique, le bouillant quartier de New-Bell où elle mènera une vie de débauche et sombrera dans l’alcool, en vendant son corps pour joindre les deux bouts tout en essayant de préserver le fils, lequel obtiendra son baccalauréat, et grâce à un inespéré concours de circonstances, poursuivra ses études en France, où il trouvera l’amour et mènera une envieuse carrière professionnelle de psychothérapeute clinicien. Et puis. Un jour, il ouvrira les vannes qui toujours contenaient l’aspiration qui sourd depuis en lui, le déclin est l’histoire dramatique d’un jeune enfant, un de ses patients, Sunday, en souffrance identitaire et pour lequel son expertise est requise. L’histoire d’un jeune adolescent camerounais, arraché lui aussi de son Cameroun natal où il avait été élevé par sa grand-mère pour retrouver ses parents installés déjà depuis quelques années en France. Il est perclus et englué dans une inextricable crise d’identités qui aura malheureusement raison de lui. Zacharie Mekobe confronté à ce drame y voit le reflet de sa propre existence. Par cette réverbération il s’y retrouve, s’y reconnait et décide pour panser ses propres plaies de partir. Il retournera à Campo, le lieu du commencement pour, dans une sorte d'exercice de déracinement-enracinement, donner à la rencontre de ces deux récits tétanisants et pleins de suspenses, l'épilogue le plus envoûtant qu'il soit...
Je n’ai pas craqué tout de suite, ça m’a pris plusieurs mois. Il m’aurait fallu tomber sur l’enquête du journaliste à propos du clochard retrouvé mort par les éboueurs, non loin de l’avenue des Champs-Élysées. Des années d’évitement, de faux-semblants, de manques et de doutes ont soudain déferlé. Toutes les années, tous les instants, un à un, sans répit, sans pitié. Personne ne devait partir de chez lui comme Sunday et moi. Couper tous les ponts, larguer les amarres et ne plus pouvoir revenir en arrière. Nous ne devrions pas avoir à avancer sans repères sans protection, nous délester de tout ce que nous avons été, s’arracher à soi en espérant germer dans une nouvelle terre. Ceux qui ont ce privilège voyagent l’esprit léger. Ils partent de leur plein gré, sachant qu’ils peuvent revenir quand bon leur semble. Nos périples à nous ne prévoient aucun retour, nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y’a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour. Et puis ici aussi, dans cet Éden étincelant, des enfants meurent d’être délaissés, mal-aimés, maltraités. Les terres lointaines ne tiennent pas leurs promesses.
L‘auteure camerounaise avec une déconcertante maîtrise des techniques du récit aborde dans ce texte adoptant une forme de pusillanimité expressive sur des thèmes paradoxalement plus graves : la question de l‘exil et des identités, mais aussi la problématique du capitalisme déshumanisant, du racisme avec un angle de vue moins militant digne d’intérêt, la corruption, les inégalités sociales. Un roman d’amour qui écrit l’attente comme étant l’acte d’amour le plus extatique qu’il soit.
Kah’Tchou Boileau
Crédit photo: Photo: © Peter Hurley/Vilcek Foundation
Hemley Boum est née au Cameroun où elle entreprend des études d’anthropologie avant de poursuivre à Lille des études de commerce international. Elle bascule des pluies tropicales de Douala au froid du Nord de la France. Après un premier poste à Paris, elle rentre au Cameroun en tant que responsable grands comptes de la filiale camerounaise d’une société française.
Exploratrice de son propre pays, la découverte des firmes agroalimentaires, cotonnières et forestières enrichissent singulièrement sa vision de la société camerounaise et de l’exploitation internationale des ressources locales. Elle a ensuite vécu dans plusieurs pays africains avant de s’installer à Paris et de trouver la forme qui lui convient pour entrer en écriture.
Elle a déjà publié quatre romans, traduits en six langues. Les jours viennent et passent obtient le Prix Amadou Kourouma 2020, Les Maquisards est récompensé par le Grand prix littéraire de l’Afrique Noire 2016 et du Prix du livre engagé de la Cène Littéraire 2016. Enfin, le Prix Ivoire du livre francophone est attribué à Si D’Aimer en 2013.
Son dernier roman, Le rêve du pêcheur est paru en janvier 2024.