La parole aux négresses
(Éditions Denoël/Gonthier, Paris 1978), de l’écrivaine, anthropologue, femme politique et militante des droits des femmes sénégalaise Awa Thiam
Publié en 1978 par les Editions Denoël/Gonthier, « La parole aux négresses » d’Awa Thiam, anthropologue, femme politique et militante sénégalaise, reste une œuvre d’une actualité saisissante. Pour cette première note de lecture de 2025, je souhaite partager avec vous l’impact profond qu’a eu cette lecture sur moi. Considéré comme un texte fondateur du féminisme africain, cet ouvrage a provoqué une véritable onde de choc lors de sa parution en 1978, dans un contexte marqué par la récente décolonisation des pays africains et la liesse du Soleil des Indépendances. Fidèle à son titre, il donne voix aux femmes, dans un style cru et dépouillé d’artifices, dévoilant avec une pointe de voyeurisme glaçant les frustrations et les oppressions auxquelles elles sont confrontées, tout en suggérant des pistes de solutions.
L’ouvrage va au-delà de la dénonciation des mutilations génitales féminines telles que la clitoridectomie et l’infibulation. Il s’attaque également aux structures patriarcales qui exaltent la domination masculine, dont la polygamie représente l’une des expressions les plus visibles. En relatant des récits marqués par la souffrance et la résilience, l’auteure dresse un tableau poignant de la condition féminine.
Si le livre a suscité des critiques dans les milieux universitaires français, principalement en raison d’un supposé manque de rigueur scientifique, il a connu un vif succès aux États-Unis, où les luttes féministes étaient étroitement liées aux combats contre le racisme. Aujourd’hui encore, il résonne fortement face aux réalités persistantes dans des pays comme le Cameroun, où les féminicides continuent d’être ignorés, où les femmes demeurent sous-représentées dans les sphères de décision et où des pratiques patriarcales, telles que le blanchiment de la peau ou l’avortement clandestin, perdurent.
Certes, des avancées juridiques ont été réalisées, notamment avec l’inscription dans les droits positifs africains de la criminalisation des mutilations sexuelles et la promulgation de lois protégeant les droits des femmes. Des exemples récents, comme la réforme du Code de la Famille au Maroc, illustrent ces progrès. Cependant, la quête pour l’égalité des sexes reste un combat d’actualité.
C’est sans doute cette résonance moderne qui a motivé la réédition de l’ouvrage en mai 2024 en France (Éditions Divergences) et au Sénégal (Éditions Saaraba), marquant ainsi son retour dans le débat public après des années d’absence dans les librairies.
Tout commence par des mots, une parole libérée et plurielle …
À travers les témoignages de femmes telles que Yacine, Médina, Tabara, Mouna, Coumba et Ekanem, venues de divers pays d’Afrique – Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Guinée, Nigéria – Awa Thiam donne la parole à celles que l’on entend rarement, et qu’on ne voit pas souvent.
Le récit de Yacine, par exemple, illustre avec force la condition des femmes dans un contexte de polygamie. Née d’un père sénégalais, naturalisé malien, sa mère à elle était malienne, elle a vécu avec ses parents au Sénégal jusqu’à l’éclatement de la Fédération du Mali en 1960. A dix-huit ans elle sera mariée à un Ivoirien qui à cette époque résidait à Bamako et qu’elle va suivre à Abidjan. Ils ont déjà deux enfants et vivent dans une chambre qu’ils sous-louent dans le quartier populaire de Treichville, un quartier peuplé à forte majorité par une diaspora sénégalaise. Puis, un soir, au cours d’une de ses grossesses, de retour d’un voyage, son mari s’amena avec une jeune femme, sa nouvelle épouse. Reléguée à dormir sur une natte avec ses enfants, Yacine subit l’humiliation quotidienne des ébats de son mari avec sa coépouse.
Chaque témoignage met en lumière des problématiques telles que la polygamie, les mutilations génitales, les mariages forcés et la subordination des femmes. À travers ces récits, Awa Thiam questionne également la religion, souvent invoquée pour justifier ces pratiques.
Des mots crus des femmes émergent des maux profonds, révélant une triple oppression
La puissance de cet ouvrage réside dans sa capacité à mettre en lumière la triple oppression qui pèse sur les femmes noires : le sexisme, découlant de leur condition féminine ; le racisme, lié à leur origine ethnique ; et l’oppression de classe, résultant des systèmes de domination socio-économique tels que le capitalisme, le colonialisme et le néo-colonialisme.
Awa Thiam souligne l’importance cruciale de la solidarité entre femmes, indépendamment de leurs origines. En s’appuyant sur les expériences et réflexions de ses consœurs africaines, européennes et américaines, elle fait preuve d’une compréhension approfondie des dynamiques féministes à l’échelle mondiale, tout en les inscrivant dans un contexte africain spécifique. Son approche, avant-gardiste, s’apparente ainsi à une forme de Me Too à l’africaine, bien avant l’émergence du mouvement.
Un hommage vibrant aux femmes africaines
« La parole aux négresses » se veut un hommage aux femmes africaines, passées et présentes, qui ont lutté pour préserver leurs valeurs et traditions malgré les tentatives d’effacement imposées par la colonisation et la domination masculine. À travers cet ouvrage, Awa Thiam plaide pour une prise de conscience collective et une action concertée en faveur de l’égalité des sexes.
Ce texte, toujours aussi percutant qu’à sa première publication, continue d’être une référence essentielle pour comprendre et combattre les inégalités de genre en Afrique et au-delà.
Kah' Tchou Boileau
• « La Parole aux Négresses », d’Awa Thiam, éd. Divergences, Paris, 208 pages, 16 euros, préface de Mame-Fatou Niang, suivie de la préface originale de Benoîte Groult.
• « La Parole aux Négresses », d’Awa Thiam, éd. Saaraba, Dakar, 200 pages, 9 000 francs CFA, préface de Ndèye Fatou Kane et entretien en postface avec Kani Diop.

Bienvenue sur ma page dédiée à mes lectures ! Ici, vous trouverez une sélection de livres que j'ai dévorés au fil du temps. Chaque ouvrage a laissé une empreinte unique, et j'ai hâte de partager mes impressions et découvertes avec vous. Plongeons ensemble dans l'univers littéraire !"

Au Sénégal, Awa Thiam a marqué l'histoire du féminisme panafricain avec son ouvrage La Parole aux négresses, publié en 1978. Dans le contexte post-indépendance, ce livre fondateur du féminisme africain a été perçu comme « provoquant ». Il aborde des thèmes tabous, toujours d'actualité 45 ans plus tard, tels que les mutilations génitales féminines, l'excision, la polygamie, l'avortement, les grossesses précoces, les mariages forcés, le blanchiment de la peau, la répudiation et la dot. Ce texte audacieux remet en question le rôle oppressif des hommes, en mettant en lumière des pratiques qui limitent la liberté et les droits des femmes.