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L’évangile du nouveau monde

(Buchet/Chastel, Paris, 2021) de Maryse Conde

L’Évangile du nouveau monde (Buchet/Chastel, 2021), signé par la grande Maryse Condé, est une œuvre captivante, audacieuse et profondément marquante. Avant de plonger dans le cœur de ce récit, il convient d’avouer une lacune personnelle : je n’avais jamais lu un seul texte de cette immense autrice jusqu’à récemment. Bien que je suivais de loin l’actualité médiatique entourant ses œuvres, une sorte de paresse littéraire m’avait éloigné de son univers. Cependant, décidé à combler cette lacune, j’ai entamé Ségou, Les murailles de terre. Séduit par la puissance narrative de l’écrivaine, je n’ai pu résister à l’envie de découvrir davantage de ses textes, parmi lesquels L’Évangile du nouveau monde. Ce roman, découvert presque par hasard à la bibliothèque, s’est révélé être l’une de mes plus belles aventures littéraires, dévorée en un week-end.

Une narration captivante et une relecture audacieuse des Écritures ...

Dès les premières pages, le lecteur est happé par une écriture qui semble dictée par une force irrésistible. Maryse Condé, affaiblie par des problèmes de santé, a en effet dicté ce texte, ce qui confère à la narration un rythme saccadé, presque oral, qui amplifie l’intensité du récit. Chaque page est une projection brutale de mots qui transportent le lecteur d’un rebondissement à un autre, sans répit.

 

Réinterpréter des scènes inspirées des Saintes Écritures est un exercice périlleux que Maryse Condé relève avec brio. Inspirée par des auteurs comme John Maxwell Coetzee, José Saramago ou Amélie Nothomb, elle s’approprie ce thème avec une audace teintée de respect.

L’histoire débute un dimanche de Pâques, à Fond-Zombi, où Eulalie et Jean-Pierre Bellandre, propriétaires d’une pépinière nommée Le Jardin d’Éden, découvrent un nouveau-né abandonné dans leur jardin. Sans enfants, ils voient en ce bébé un miracle et décident de l’adopter, le nommant Pascal :

« Un miracle ! Voilà un cadeau que je n’attendais pas. Je te nommerai Pascal. »

Pascal, métis et enfant de sang mêlé, grandit sous le regard intrigué des habitants, qui lui prêtent des pouvoirs surnaturels et des dons de guérison. Considéré comme le fils de Dieu, il reste cependant habité par une quête d’identité : retrouver ses parents biologiques et comprendre sa place dans le monde. Son objectif ultime ? Transformer le monde en un lieu plus juste et harmonieux.

Une quête initiatique à travers le monde

Les pérégrinations de Pascal mènent le lecteur aux quatre coins du globe : Amérique centrale et du Sud, Brésil, Paraguay, Afrique, Outre-mer et France métropolitaine. Ces voyages sont autant d’étapes pour découvrir des personnages singuliers – José, Judas Eleuther Marthe, Maria – et vivre des expériences amoureuses intenses ou feintes. Ces rencontres dévoilent des figures féminines essentielles, qui jouent un rôle déterminant dans l’univers de Maryse Condé.

C’est grâce à Espiritu, un vieux sage, que Pascal en apprend davantage sur son passé, notamment sur son père, Corazon Tejana, un homme idolâtré et presque divinisé. Bien qu’il ne parvienne jamais à le retrouver, il rencontre sa mère biologique, Maja Moretti. Pascal, en proie à de nombreuses interrogations, s’interroge sur son essence :

  • Qui est-il réellement ?

  • Quelle est la nature de sa mission ?

  • Est-il vraiment le fils de Dieu ?

Maryse Condé sème volontairement le doute, laissant ces questions en suspens. La quête de réponses devient une réflexion sur l’impossibilité d’une vérité absolue.

Un texte testamentaire

Tout au long du récit, Maryse Condé tisse des parallèles subtils avec les Évangiles, mettant en lumière leurs contradictions et invitant à une lecture critique. Avec finesse, elle met en garde contre les dangers des vérités imposées et prône la pluralité des perspectives.

Maryse Condé a annoncé que ce roman serait son dernier. L’Évangile du nouveau monde se présente ainsi comme un testament littéraire, d’une puissance rare, et marque l’apogée de l’art d’une autrice qui continue de bousculer les conventions et d’enrichir la littérature de son éclat unique.

 

 

Kah' tchou Boileau

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Née le 11 février 1934 à Pointe-à-Pitre, Maryse Liliane Appoline Boucolon est la huitième et dernière enfant d’une famille bourgeoise de Guadeloupe. Son père y avait fondé une caisse coopérative de prêts et sa mère était l’une des premières institutrices noires de sa génération. Après une enfance et une adolescence sur l’île, Maryse Condé se rend à Paris pour continuer ses études au lycée Fénelon avant de s’inscrire en Sorbonne. Elle se mêle alors aux jeunes intellectuels africains et antillais qui résident dans l’Hexagone, découvre les écrivains de la négritude, à commencer par le Discours sur le colonialisme (1950) de Césaire. Elle se marie avec le comédien guinéen Mamadou Condé en août 1958. L’Afrique, qui n’était au départ qu’un « objet littéraire », va prendre une place importante dans sa vie.

En Côte d’Ivoire, puis en Guinée, au Ghana et au Sénégal – où elle part enseigner le français et rencontre Richard Philcox, un Britannique, professeur de langue anglaise, qu’elle épousera en 1982 –, Maryse Condé assiste à l’essor et aux désillusions des indépendances. Elle qui s’est confrontée à l’Afrique réelle tombe désormais d’accord avec Frantz Fanon : le monde noir et la négritude sont des idées à dépasser. Elle revient à Paris en 1970, travaille à la librairie et maison d’édition Présence africaine avant de soutenir, en 1975, une thèse de doctorat de lettres portant sur la littérature des Caraïbes, sous la direction de René Etiemble.

En 1976, Maryse Condé publie son premier roman, Heremakhonon, revenant sur les désillusions des indépendances africaines. Quelques années plus tard, Ségou, roman historique en deux tomes (1984-1985) qui, à travers le destin de trois frères, retrace la chute du royaume bambara, la fait connaître d’un vaste public. Invitée par diverses universités aux États-Unis, d’abord en Californie, puis en Virginie et au Maryland, elle termine sa carrière professorale à l’université Columbia, de 1997 – année où elle crée le Centre des études françaises et francophones qu’elle dirigera – jusqu’en 2002. Après avoir vécu quelques années entre New York et la Guadeloupe, elle fait le choix de revenir définitivement en métropole pour soigner une maladie neurologique et retrouver une partie de sa famille. Établie d’abord à Paris, elle se fixe ensuite à Gordes (Vaucluse). Elle publie Le Fabuleux et Triste Destin d’Ivan et d’Ivana (2017) ou encore L’Évangile du Nouveau Monde (2021). Le prix Nobel alternatif de littérature lui est décerné à Stockholm, le 9 décembre 2018, par la Nouvelle Académie. Maryse Condé meurt le 2 avril 2024 à Apt, dans le Vaucluse.

Source: https://www.universalis.fr/

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