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Mission Terminée 

(Buchet/Chastel, Paris, 1957) de Mongo Beti

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L’envie de relire un texte de mongo Beti trottait depuis un certain temps dans ma tête. Je suis tiré de ma paresse par une révélation, celle que me fit une très proche amie frappée par le deuil à la disparition de son père, éminent professeur de littérature. Elle me décrivit en effet avec forces émotions les derniers moments passés avec lui en replantant le funeste décor de son dernier espace de vivant, sa chambre, le corps inerte dans le lit, au chevet duquel trônait un ouvrage, Mission Terminée. Le rapprochement entre la fin de vie et le titre du texte de Mongo Beti laisse évidemment planer une impression d’indéchiffrable et mystérieux message entre les lignes, celle d’une mission bien remplie et qu’il fallait terminer. J’avais pourtant déjà lu Mission terminée, mais je ne pus résister, après ce témoignage, à l’envie de m’y jeter à nouveau.

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On connait l’intrépide lutteur anticolonialiste, la gouaille la plus achevée dans la dénonciation du néo-colonialisme et de ses suppôts locaux. Au plus fort de ses parutions, d’authentiques peintures au vitriol de ce que le colonialisme a de plus déshumanisant, Mongo Beti va publier en 1957 un texte qui mettra sur la sellette ou peut-être appellera à la barre les acteurs de notre société africaine. Nous sommes plongés en pleine période coloniale et Mongo Beti nous convie à une belle odyssée dans les viscères d’un village africain. Tout y passe : la place des hommes dans une société très phallocrate, le rôle des femmes, les rapports intergénérationnels entre jeunes et personnes âgées, l’influence de l’éducation occidentale dans l’ordre social des communautés. En réalité Mongo Beti nous fait dresse le récit d’ordinaires quotidiens d’une ruralité menacée dans ses modes de vie par la ville et le modèle citadin, sa force d’attraction et de séduction.

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Jean Marie Medza, le héros du roman vient d’être recallé à son baccalauréat et s’attend, à son retour au village, à un accueil tiédi par son insuccès. Sa déconfiture à son examen n’entamera pourtant pas l’engouement et l’enthousiasme que laisse entrevoir l’attitude populations à son arrivée. C’est que son arrivée coïncide avec un événement qui met tout le village en transe. La femme de son propre cousin, Niam, est partie sans laisser de traces. Le village ne trouvera ni plus ni moins en la personne de Medza, celui à qui reviendra la lourde mission de ramener l’épouse disparue au cousin éploré. Le lieu de la mission, c’est Kala, le village natal l’épouse absente. Rendu à Kala, Medza aura la surprise de découvrir que l’épouse n’y est pas. Elle aurait continué sa cavale avec son amant ailleurs. Résolu à l’attendre, le temps de l’attente va donner le la à l’histoire d’une profonde transformation du jeune Medza groggy par son échec au bachot. Ici, sa condition de citadin en fait une sorte d’héros à qui est prêtée une forme d’intelligence hors du commun. Toute chose qui le rend séduisant auprès des anciens,des mamans du village qui voient en lui le gendre idéal, des jeunes qui croient avoir trouvé l’idéal congénère qui viendrait donner un coup de semonce dans le conflit intergénérationnel qui les oppose aux anciens. Les jeunes en proie à toutes sortes de libertinage et de vices s’ingénient à entraîner le jeune Medza dans le tourbillon de la luxure, essayant par moultes artifices de l’entraîner dans leurs virées bien arrosées au vin de palme ou particulièrement en tenant de placer une jeune fille dans son lit. Ces entreprises se heurtent à la timidité de Medza. Il n’empêche qu’il découvrira l’amour et va s’enticher d’une jeune fille, Edima, la villageoise, l’antithèse de la belle Eliza, qui est amoureuse de lui, la citadine récemment retournée de la ville que chacun voudrait sans succès conquérir. C’est Edima avec qui il a un authentique amour en partage, qu’il sera forcé de prendre en épousailles après que leur union eut été dévoilée. La soudaine réapparition de la femme de son cousin intervient alors que Jean Marie Medza totalement transformé, semble prendre goût à sa nouvelle vie à Kala. Toute chose a une fin. L’épouse disparue étant reparue, c’est donc une mission terminée. Medza doit ramener la femme de son cousin auprès des siens. Et pas que. Il y retourne aussi avec sa femme, Edima. A son retour, il doit hélas, affronter la colère de son père qui n’a point faibli. Il décide de tout abandonner, de retourner en ville et de ne remettre les pieds au village qu’à la mort de son géniteur…

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 Dans une écriture simple, pleine d’ironie et d’une évanescente beauté, Mongo Beti nous entraine dans une odyssée littéraire en plein dans le quotidien ordinaire des villages africains pendant la période coloniale. On en apprend sur la place des femmes en apparences laissées à la merci des hommes qui semblent exercer un pouvoir quasi patrimoniale sur elles, mais on voit bien la subtilité avec laquelle l’auteur veut nous montrer la forme d’indépendance et de liberté dont elles jouissaient et parvenaient contre vents et marées à exprimer leur opinion. Le conflit intergénérationnel entre vieux et jeunes est mis en relief et on peut aisément percevoir comment la notion de ville a crée tout un chamboulement dans le mode de vie des sociétés africaines. Le pouvoir séduisant de la ville est vent debout dans le processus de délégitimation de l’autorité séculaire des anciens. Même si l’anticolonialisme ou la domination blanche n’est pas le thème principal de ce texte, Mongo n’a pas pu résister à en parler dans certains passages et à dénoncer particulièrement le rôle trouble des colonisateurs dans la désacralisation des chefs traditionnels au sein des communautés africaines.

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Le chef de canton de chez nous était une sorte de vieux vicieux qui, malgré son âge, possédait les six plus belles femmes de la région et s’apprêtait à en acquérir d’autres. Il jouissait, comme la plupart des chefs, d’une position très forte dans le pays : presque riche, habitant une villa imposante, compte tenu du niveau de vie général, adulé par l’administration coloniale qui l’avait nommé, sûr de n’être jamais révoqué par cette administration à laquelle il obéissait comme un robot idéal, redouté de tous par suite de ses trahisons à l’époque des travaux forcés, bafouant la hiérarchie traditionnelle de notre tribu quand il n’en avait pas besoin pour ses manigances, cet homme aurait été comblé, en un mot, si je ne lui avais semblé suspect, moi l’étoile montante, le coming-man de la tribu. Si cet homme d’État, ce dictateur de village me faisait l’honneur de me considérer comme un homme de l’opposition, ce n’était point, ainsi qu’on pourrait le croire, en raison de mes idées subversives, ni de mes accointances avec l’étranger ou l’ennemi, ni de quoi que ce soit pouvant justifier tant soit peu une suspicion publique, mais simplement parce que je guignais ses femmes - à ce qu’il prétendait et croyait très certainement. J’ai probablement reluqué ses femmes, mais pas précisément au moment qu’il croyait. Et d’abord ses femmes, qui étaient incontestablement très jolies, me provoquaient sans pudeur. En dépit de ma personnalité très réservée, je n’aurais pas toujours répondu de moi, n’eût-été ma mère qui n’aimait pas du tout ça .

Un texte digeste à maints égards, tant par sa structure très simplifiée que par la beauté de la langue qui nous ressort avec justesse les dynamiques internes de nos sociétés précoloniales qui s’apprêtent à vivre les nombreux bouleversements qu’entraîneront inéluctablement la colonisation et l’érection de la notion de ville dans la conscience collective.

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Kah' tchou Boileau

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Alexandre Biyidi-Awala (c'est son nom d'état civil) est né le 30 juin 1932 à Akométam, non loin de M'Balmayo, petite ville du pays beti, au centre du Cameroun. Son expérience directe de la vie coloniale nourrit ses premiers textes, publiés sous le pseudonyme d'Eza Boto (c'est-à-dire « les gens d'autrui ») : une nouvelle, Sans haine et sans amour (1953) et un court roman, Ville cruelle (1953). Ce projet se poursuit en 1956, avec Le Pauvre Christ de Bomba, signé du pseudonyme définitif, Mongo Beti – ce qui signifie « le fils des Beti ». Mission terminée (1957) Le Roi miraculé (1958), Après une décennie de silence, Mongo Beti publie en 1972 un pamphlet, Main basse sur le Cameroun, très solidement documenté et présenté comme l'« autopsie d'une décolonisation ». Il s'attire les foudres du ministre français de l'Intérieur qui interdit l'ouvrage. L'écrivain fait alors passer la documentation rassemblée dans une trilogie romanesque foisonnante et baroque (Remember Ruben, 1974 ; Perpétue et l'habitude du malheur, 1974 ; La Ruine presque cocasse d'un polichinelle, 1979). L'œuvre s'est continuée avec des romans picaresques (Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, futur camionneur, 1983 ; La revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama, 1984 ; L'Histoire du fou, 1994), des essais dans la veine pamphlétaire (Lettre ouverte aux Camerounais, 1986 ; Dictionnaire de la négritude, 1989 ; La France contre l'Afrique, retour au Cameroun, 1993), puis des « polars » aussi tumultueux que l'Afrique d'aujourd'hui (Trop de soleil tue l'amour, 1999 ; Branle-bas en noir et blanc, 2000

Rentré au Cameroun après 32 ans d’exil, Beti ouvre une librairie à Yaoundé tout en continuant d’écrire et de publier. Il meurt à Douala en 2001, d’une maladie relativement bénigne mais mal soignée faute d’équipements.

La veuve de Mongo Beti, Odile Tobner, une Française agrégée de Lettres classiques, a poursuivi avec courage et talent le combat de son mari (qu’elle avait suivi à Yaoundé) contre le racisme et le colonialisme.

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