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Boza !

Le périple d’un adolescent migrant à la conquête de sa liberté

 

(Philippe Rey, 06.02.2020)

378 Pages

Auteurs: Ulrich Cabrel et Etienne Longueville

 

 

Le drame des migrants se résume trop souvent à des images fugaces et superficielles dans l’esprit du public occidental : des corps flottant sur les eaux de la Méditerranée, des visages exténués après des semaines d’errance à travers des forêts hostiles. Ces fragments de vies brisées, relayés dans des reportages succincts, finissent rapidement oubliés, noyés dans l’actualité. Ces tragédies, fréquentes autour du bassin méditerranéen, peinent à éveiller une réelle prise de conscience. Elles glissent vers une banalisation désolante, devenant des faits divers que l’on détourne du regard. Pire, la question des migrations est souvent instrumentalisée dans le discours politique, transformée en un outil de division. Les migrants y sont réduits à l’image réductrice et stigmatisante d’“envahisseurs”, perçus comme une menace pour les terres prospères d’Europe.

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Dans ce contexte, Boza ! du jeune camerounais Ulrich Cabrel et coecrit avec le français Étienne Longueville offre une perspective profondément humaine et singulière. Ce livre redonne une voix, un visage et une histoire à ces vies souvent anonymes. En s’éloignant des dépêches impersonnelles et des discours convenus, les auteurs livrent un récit à la fois poignant et immersif.

Loin d’être un manifeste militant ou un pamphlet moralisateur, Boza ! s’appuie sur la force du témoignage dans un texte d’auto-fiction. Le lecteur suit le périple bouleversant d’un adolescent, entre innocence et maturité forcée, dans une quête éperdue de liberté. L’histoire, riche en émotions, mêle résilience, solidarité, amitié et amour, tout en posant un regard lucide et critique sur les contradictions de nos sociétés modernes.

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Le récit ne se limite pas à une simple dénonciation. Il explore également les paradoxes de certaines communautés africaines, où la quête effrénée de l’enrichissement rapide côtoie des valeurs d’hospitalité souvent mises en avant. Ce voyage initiatique invite à questionner nos préjugés et à affronter des réalités souvent occultées.

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Vibrant et profondément humain, Boza ! est bien plus qu’un livre : c’est une expérience qui ébranle les consciences et marque durablement les esprits.

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Tu veux savoir pourquoi je suis parti ? Comprendre ce qui m’a conduit à quitter mon pays et prendre la route l’exil à quinze ans ? Mieux connaître le jeune que tu accueilles chez toi, histoire de te rassurer ?

 

D’accord, je te raconte ; mais crois-moi, je ne fais jamais les choses à moitié. Je vais tout te confier et tu vas être renversé.

Un récit puissant et sans détour

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 Boza ! nous embarque dans l’odyssée de Petit Wat, un adolescent de quinze ans, déterminé à quitter les faubourgs miséreux de Douala pour rejoindre Saint-Brieuc, en Bretagne. À travers ses yeux, nous découvrons une histoire poignante, celle d’une jeunesse marquée par la pauvreté, les violences urbaines et l’absence d’horizons.

Petit Wat – surnommé ainsi en raison de son teint clair dans les quartiers populaires de Bonaloka, au Cameroun – nous invite à explorer son univers d’enfance, où la débrouille est une nécessité partagée par tous. Dans cet environnement hostile, sa mère, véritable pilier de la famille, compense l’absence de son père avec une force admirable. Avec ses amis Polusson, Bâtiment et Armel, Petit Wat trouve dans le Jambo (jeu de hasard) et l’esquive des gangs locaux, une façon d’échapper temporairement à la réalité. Mais pour lui, il a qu’une solution : partir.

 

L’exil comme quête d’espoir

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C’est ainsi qu’il décide de tenter sa chance, inspiré par l’histoire de Bâtiment, qui, après une tentative infructueuse, est parvenu à atteindre l’Europe. Avec 1500 francs CFA en poche et l’aide de sa sœur et de son frère, Petit Wat quitte tout, y compris sa mère, à qui il ne fait pas ses adieux. Ce modeste « trésor de guerre » finance à peine sa première étape : le Nigeria. Mais son véritable capital est ailleurs : dans son courage, sa détermination, sa force de caractère, son intelligence et une bonne dose de chance.

Le périple est un enchaînement d’épreuves : sans argent pour payer les passeurs à Kano au Nigeria, il avance grâce à des stratagèmes et des rencontres fortuites. Il traverse le désert nigérien à moto, à pied, souvent avec l’aide d’inconnus. Il est deux fois pris en otage par des passeurs, et sa libération repose sur la réponse glaçante mais pleine de résilience de sa mère, au téléphone, confrontée à une demande de rançon :

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S’il te plaît, monsieur, quand tu auras tué mon fils, pense à nous envoyer la tête au Cameroun, on va l’enterrer au village

Ces mots désarment ses bourreaux. Mais ce n’est qu’un épisode parmi d’autres. Il traverse des paysages où la migration dévoile son visage le plus sombre : des corps ensevelis sous le sable, des véhicules criblés de balles et abandonnés dans le désert. Déshabillé et laissé nu par des assaillants, il franchit la frontière algérienne dans le plus simple appareil.

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On croise un véhicule qui a été attaqué et brulé. On distingue encore le chauffeur, adossé au volant. Derrière, les passagers sont couchés les uns sur les autres, le sable recouvre en grande partie ce qui reste de leurs corps. La voiture a été criblée de balles.

L’organisation des communautés migrantes

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En Algérie, Petit Wat découvre le ghetto camerounais de Tamanrasset, une micro-société dirigée par un « Chairmo » (chef) et ses gardes du corps. À travers lui, le lecteur explore la solidarité, mais aussi les désillusions des migrants, parfois tentés de s’installer sur place, devenant des Slaackmen, ceux qui abandonnent leur rêve européen pour d’autres buts.

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Au Maroc, dernier obstacle avant l’Europe, la préparation de l’assaut sur « le Monstre-à-Trois-Têtes » – la triple barrière séparant Nadora de Melilla, le Maroc de l’Espagne, l’Afrique de l’Europe – est décrite avec un soin du détail fascinant. Les migrants, organisés comme une armée, peaufinent leurs stratégies sous la direction d’un général et de ses officiers. Deux assauts s’enchaînent : le premier échoue, mais le second couronne les efforts de Petit Wat et de ses compagnons d’infortune.

 

Un témoignage immersif et émouvant

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Le style du récit, coloré et empreint de Camfranglais (argot camerounais), plonge le lecteur dans l’univers urbain de Douala et dans l’intimité du parcours migratoire. Les nombreuses rencontres et les lieux traversés donnent à l’histoire une richesse narrative, bien soutenue par une carte en fin d’ouvrage retraçant l’itinéraire de Petit Wat.

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Au-delà des défis de la migration, Boza ! célèbre la résilience, la solidarité et l’amour, des valeurs universelles qui éclairent les moments les plus sombres de l’histoire. Ce texte nous invite à réfléchir à notre propre capacité à rêver, à résister, et à conquérir nos aspirations. Peut-être que, derrière chaque lecteur, sommeille un bozayeur prêt à affronter ses propres barrières.

Un livre poignant, nécessaire et profondément humain.

 

 

 

Kah’Tchou Boileau

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Ulrich Cabrel est un Camerounais de dix-huit ans. Ayant lui-même dû quitter son pays, seul, il a vécu de l’intérieur cette redoutable traversée. 

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Étienne Longueville est bénévole dans une association qui accueille et accompagne les jeunes réfugiés. Il a été l’un des hébergeurs solidaires d’Ulrich Cabrel lors de son arrivée en Bretagne.

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